22.
Ce que je suis

 

« Craignez le nouvel an des sorcières, nuit de rites profanes. Il tombe la veille de la Toussaint. Ce jour-là, la frontière entre ce monde et le suivant s’affine, se brise facilement. »

 

Sorcières, sorciers et mages,

Altus Polydarmus, 1618

 

 

Ce soir, je vais assister au cercle, et rien ne m’en empêchera. Je vais m’engager à devenir une apprentie officielle du coven de Cal. Je sais que, cette nuit, ma vie va changer. Je le perçois dans tout ce que je vois, tout ce que j’entends.

 

 

* * *

 

 

— Où est Bree ? m’a demandé ma mère tandis que Mary K. et moi enfilions nos déguisements.

Puisqu’on avait enfin admis qu’on était trop vieilles pour aller réclamer des bonbons chez les voisins, on avait décidé de participer à la fête d’Halloween du lycée. Il était à peine sept heures et la maison avait déjà été assiégée par des modèles réduits de pirates, de princesses, de mariées, de monstres et, évidemment, de sorcières.

— C’est vrai, a renchéri Mary K., qui traçait une fausse cicatrice de Frankenstein sur sa joue. Je ne l’ai pas vue de la semaine.

— Elle est très prise, ai-je répondu l’air de rien, en me brossant les cheveux. Elle a un nouveau copain.

Cette nouvelle a fait glousser ma mère.

— Cette Bree, quel cœur d’artichaut !

On peut dire ça comme ça, oui, ai-je pensé, sarcastique.

Mary K. a jaugé ma tenue d’un œil désapprobateur.

— C’est tout ?

— Je n’ai pas réussi à me décider, ai-je avoué.

J’étais déguisée en Morgan. Version tout de noir vêtue, mais Morgan quand même.

— Grand Dieu, laisse-moi au moins te maquiller, a soupiré ma mère.

Elles m’ont dessiné une pâquerette sur le visage. Avec mon jean et mon haut noirs, j’avais l’air d’une fleur sur une tige fanée. Peu importait. Pendant la soirée, Mary K. et moi avons bougé au rythme d’un groupe local très mauvais, les Ruffians. Quelqu’un avait versé de l’alcool dans le punch mais, évidemment, les professeurs s’en sont rendu compte aussitôt et l’ont vidé sur le parking. Aucun autre membre du cercle n’était présent. En revanche, j’ai retrouvé Tamara et Janice, puis j’ai dansé avec ma sœur, Bakker et deux ou trois autres mecs qui étaient avec moi en maths ou en physique. C’était marrant. Pas grandiose, mais marrant.

À onze heures et quart, nous étions de retour à la maison. Pendant que ma mère, mon père et Mary K. allaient se coucher, j’ai arrangé des oreillers dans mon lit pour leur donner la forme oblongue adéquate. Puis je me suis lavé la figure avant de retrouver en douce la fraîcheur de la nuit.

Bree et moi, on avait déjà fait le mur ensemble, pour faire des trucs stupides du genre se rendre à la station-service ouverte vingt-quatre heures sur vingt-quatre pour s’acheter des beignets ou d’autres cochonneries. C’était toujours une aventure joyeuse, comme un rite de passage tolérable, que nos parents jugeraient sans doute avec indulgence s’ils nous surprenaient.

Ce soir-là, la lune brillait comme un spot. Le vent de cette fin d’octobre me glaçait jusqu’aux os. Je me sentais perdue et très seule. Comme j’avançais sur la pointe des pieds vers l’allée sombre où était garée ma voiture, la flamme de notre lanterne-citrouille a vacillé avant de s’éteindre. Sans son sourire guilleret illuminé par la bougie, elle avait un air sinistre, presque menaçant. Le pouvoir de ce symbole païen, antique, dépassait de loin ce que l’on pouvait attendre d’une simple citrouille sculptée.

J’ai inspiré l’air nocturne un instant, guettant le moindre signe d’alerte. Soudain, j’ai voulu tenter quelque chose : déployer mes sens tel un filet pour explorer les alentours. Comme s’ils pouvaient capter un signal, à l’instar d’une antenne de télé ou d’une parabole. J’ai fermé les yeux, l’oreille aux aguets. J’ai entendu le frôlement des feuilles sèches, rabougries, qui tournoyaient vers le sol. Les grattements des écureuils qui décampaient à toute allure. Puis j’ai senti la brise charriant des volutes de brume depuis le fleuve. En revanche, aucun signe de mes parents ou d’un voisin. Dans ma rue, tout était calme. Pour l’instant, je ne risquais rien.

Ma voiture pesait une tonne. J’ai eu toutes les peines du monde à la pousser jusqu’à la route. Au dernier moment, j’ai dû donner un coup de volant et sauter à l’intérieur pour piler. J’ai prié pour qu’une bande de jeunes fêtant Halloween ne déboule pas à toute allure au coin de la rue. J’ai fermé de nouveau les yeux en pensant à ma maison, et j’ai senti que des gens y dormaient paisiblement, d’un sommeil profond, inconscients de mon absence.

Une fois Das Boot sur la route, et dans le bon sens, j’ai eu moins de mal à la contrôler. Je l’ai poussée jusqu’à la maison des Herndon, à présent pourvue d’une rampe d’accès toute neuve pour le fauteuil roulant du vieil homme. Je me suis installée derrière le volant et j’ai démarré en repensant aux sièges chauffants de Breezy. Entre mes mains, Das Boot me faisait l’effet d’une bête qui s’éveillait en ronronnant, tout excitée à l’idée d’avaler des kilomètres. Ensemble, nous avons filé dans la nuit.

 

* * *

 

Je me suis garée sous l’énorme saule dans le pré qui faisait face aux champs de maïs. La Coccinelle rouge de Robbie y était déjà, ainsi que le pick-up de Matt. J’avais aussi repéré les voitures de Bree et de Raven. Nerveuse, je suis descendue de Das Boot pour aller ouvrir le coffre. Je jetais constamment des coups d’œil par-dessus mon épaule, comme si je m’attendais à ce que Bree – ou pire encore – surgisse du velours noir de la nuit et se jette sur moi. Vite, j’ai sorti les fleurs, les fruits et la bougie que j’avais apportés, et je me suis dirigée vers les épis de maïs, de l’autre côté de la route.

Si près du but, j’éprouvais encore quelques doutes, malgré la détermination affichée devant Bree et les autres. Mon cœur me criait de me jeter à corps perdu dans la Wicca, mais mon esprit n’avait pas quitté le stade de la récolte systématique d’informations. Or, après ma dispute avec Bree, après l’avoir si souvent imaginée avec Cal, après avoir dissimulé tant de choses à mes parents, mon cœur était encore fragile. J’étais véritablement déchirée. Arrivée à l’orée du champ, j’ai failli tout lâcher pour faire demi-tour.

Puis j’ai entendu la musique, une mélodie celtique aérienne que la brise portait jusqu’à moi, ruban sonore soyeux qui semblait promettre paix, calme et bienveillance. Alors, je me suis engouffrée entre les hauts épis qu’on avait laissés sécher sur pied. Je ne me suis même pas demandé où j’allais, ni comment je savais où retrouver les autres. Je me contentais d’avancer et, après avoir traversé cette mer jaune végétale, je me suis retrouvée dans une clairière, où le cercle m’attendait.

— Morgan ! s’est écriée Jenna en me tendant les mains joyeusement.

Elle était radieuse ; le clair de lune la rendait plus belle encore.

— Bonsoir, ai-je murmuré, gênée.

Nous étions là, tous les neuf, à échanger des coups d’œil. L’atmosphère était tendue, comme si nous étions sur le point de nous lancer dans une entreprise périlleuse, du genre l’ascension de l’Everest. Comme si certains d’entre nous risquaient de ne pas parvenir au bout du périple. Mais, au moins, nous allions commencer ensemble. J’ai soudain eu l’impression de regarder des inconnus. Robbie était distant. Bree se montrait froide, statue charmante de mon ex-meilleure amie. Je n’avais jamais été proche des autres. Qu’est-ce que je faisais là ?

J’allais prendre mes jambes à mon cou lorsque Cal est apparu. Et je me suis figée sur place.

Vaincue, j’ai souri à Jenna, Robbie et Matt.

— Où est-ce que je pose tout ça ? ai-je demandé en tendant mes sacs à Cal.

— Sur l’autel, a-t-il répondu en s’approchant.

Son regard a croisé le mien et, pendant un court instant, le temps s’est arrêté.

— Je suis content que tu sois venue, a-t-il ajouté.

Je l’ai dévisagé béatement pendant la demi-seconde qu’il m’a fallu pour me rappeler de lui et de Bree, de ce qu’elle m’avait dit. Ensuite, j’ai hoché sèchement la tête.

— Où est l’autel ?

— Par là. Et joyeux Samhain à tous.

Il nous a fait signe de le suivre dans le champ. Lorsque la lune a caressé ses cheveux soyeux, ils ont brillé et, à cet instant, il a vraiment ressemblé au dieu païen de la forêt qu’évoquaient mes lectures. Es-tu vraiment à Bree, à présent ? lui ai-je demandé mentalement.

Le champ donnait sur une immense prairie en pente douce qui, au printemps, serait parsemée de fleurs. Pour l’instant, l’herbe était brune et souple sous nos pas. Au pied de la prairie, un étroit ruisseau glacé aux eaux cristallines courait vivement sur des roches grises et vertes. Nous l’avons traversé facilement. Cal est passé en premier avant d’aider les autres. Lorsque sa main a pris la mienne, j’ai été frappée par sa chaleur et sa fermeté.

Depuis mon arrivée, j’avais observé Cal et Bree du coin de l’œil. Impossible d’oublier qu’ils avaient couché ensemble. Pourtant, ce soir-là, rien n’avait changé dans son comportement à lui. Détendu, détaché, il ne semblait pas faire particulièrement attention à Bree. Ils n’avaient pas l’air d’un couple, comme Jenna et Matt. Bree paraissait tendue et, pire encore, elle se montrait amicale envers Raven et Beth.

De l’autre côté du ruisseau, le terrain, qui recommençait à monter, disparaissait vite derrière une rangée d’arbres touffus. Ces arbres étaient ancestraux, leur écorce était pleine de nœuds, leurs énormes racines se déployaient autour d’eux et leurs branches semblaient aussi larges que des tonneaux. À leur pied, l’obscurité était presque totale. Pourtant, je voyais nettement et n’avais aucune difficulté à trouver mon chemin dans les broussailles.

En quittant le couvert des arbres, nous nous sommes retrouvés dans un vieux cimetière.

Robbie a cligné des yeux. Raven et Beth ont échangé des sourires amusés, tandis que Jenna glissait sa main dans celle de Matt. Ethan a reniflé bruyamment avant de se rapprocher de Sharon, qui paraissait déstabilisée. Je devinais que Bree était elle aussi déroutée – je sais déchiffrer presque toutes les nuances de son expression.

— Nous sommes dans un vieux cimetière méthodiste, nous a informés Cal, la main posée nonchalamment sur une grande pierre tombale sculptée en forme de croix. Les cimetières sont des endroits idéaux pour fêter Samhain. Ce soir, nous rendons hommage à ceux qui ont disparu avant nous, et nous acceptons le fait que, un jour, nous aussi, nous redeviendrons poussière… pour mieux renaître.

Cal nous a conduits le long d’une rangée de tombes avant de s’arrêter devant une sorte de grand sarcophage surélevé. Une énorme pierre ancienne, couverte de lichen et délavée par des centaines d’années de pluie, de neige et de vent, fermait le coffre en granite. L’épitaphe n’était plus lisible, même au clair de lune.

— Ce soir, ce sera notre autel, a annoncé Cal en ouvrant le sac de marin posé à ses pieds.

Il a tendu un carré de tissu à Sharon en lui demandant :

— Tu veux bien le déplier sur l’autel, s’il te plaît ?

Sharon s’est exécutée avec délicatesse. Ensuite, Cal a donné deux gros bougeoirs en cuivre à Ethan, qui les a placés sur l’autel.

— Jenna ? Robbie ? Vous pouvez installer les fruits et le reste ?

Ils ont rassemblé toutes nos offrandes, que Jenna a disposées artistiquement en forme de corne d’abondance. Il y avait des pommes, des courges, une citrouille et un bol de noix apporté par Bree.

J’ai mis mes fleurs, ainsi que celles de Jenna et de Sharon, dans des vases de verre à chaque extrémité de l’autel. Beth a ramassé quelques branches couvertes de feuilles mortes pour les placer derrière les fruits. Raven a récolté les bougies que nous avions apportées, dont ma grosse chandelle noire, et les a fixées au sarcophage à l’aide de gouttes de cire fondue. Matt a allumé les mèches, l’une après l’autre. Il n’y avait presque pas de vent dans le cimetière, et les petites flammes vacillaient à peine dans l’obscurité. Bizarrement, lorsqu’elles ont toutes été allumées, l’endroit m’a semblé plus menaçant. L’idée de pouvoir me dissimuler dans les ténèbres me rassurait, alors que, avec la lumière des bougies sur mon visage, je me sentais trop exposée… vulnérable.

— Maintenant, tout le monde se rassemble au milieu, a lancé Cal. Jenna ? Raven ? Vous voulez bien tracer notre cercle et le purifier ?

J’étais jalouse qu’il les ait choisies, elles – comme tout le monde, sans doute. Cal les a observées patiemment, prêt à les aider si besoin était. Mais elles se sont appliquées et bientôt le cercle a été tracé, puis purifié avec de l’eau, de l’air, du feu et de la terre.

Voilà, je participais de nouveau à un cercle ! J’exultais, pleine d’espoir. Seuls les sombres ruminations de Bree et les airs supérieurs que se donnait Raven gâchaient un peu mon plaisir. J’essayais de les ignorer, de me concentrer sur la magye, ma magye, et d’ouvrir mon esprit pour qu’il devienne perméable aux impressions dépassant mes cinq sens.

— Voilà notre cercle tracé, a déclaré Jenna d’un ton solennel.

Nous avons tous reculé pour nous placer le long de la ligue. Je me suis glissée entre Matt et Robbie, deux forces positives qui ne me distrairaient ni ne me troubleraient.

Cal a sorti de son sac une petite bouteille qu’il a débouchée. Tout en trempant le doigt dans le flacon, il a fait le tour du cercle dans le sens des aiguilles d’une montre pour dessiner sur notre front un pentacle.

— Qu’est-ce que c’est ? ai-je demandé.

J’étais la seule à briser le silence.

— De l’eau salée, a-t-il répondu dans un demi-sourire.

De son doigt humide, il a tracé doucement le pentacle sur mon front. La zone de contact a chauffé, comme si le dessin luisait de magye.

Une fois sa tâche accomplie, il a repris sa place dans le cercle.

— Nous sommes réunis ici ce soir pour former un nouveau coven. Pour célébrer la Déesse, le Dieu et la nature, pour explorer, créer et adorer la magye, pour découvrir les pouvoirs magyques en nous et hors de nous.

Dans le bref silence qui a suivi, je me suis entendue dire :

— Louée soit la Déesse.

Les autres m’ont imitée. Cal a souri.

— Si quelqu’un ne souhaite pas faire partie de ce coven, qu’il brise le cercle tout de suite.

Personne n’a bougé.

— Bienvenue à vous, a repris Cal. Heureuse soit notre rencontre, loués soyez-vous. Nous avons trouvé notre havre, tous les dix, ici, au sein de Cirrus, notre coven.

Cirrus ? Ça sonnait plutôt bien.

— Tous les neuf, vous commencez dès à présent votre noviciat – vous êtes les apprentis de ce coven, a-t-il expliqué. Je vous transmettrai mon savoir, puis, ensemble, nous chercherons d’autres professeurs pour poursuivre notre exploration.

La seule fois où j’avais entendu parler de noviciat, il était question de prêtres ou de bonnes sœurs. En faisant basculer mon poids d’un pied sur l’autre, j’ai senti la terre dense, douce sous moi. Dans le ciel, la lune était haute, blanche, gigantesque. De temps en temps, le ronronnement d’un moteur ou le claquement d’un pétard résonnait au loin. Mais là, dans notre cercle, le silence était profond, durable, et seuls les appels des animaux nocturnes, les battements d’ailes des chauves-souris et des chouettes, le gazouillis du ruisseau résonnaient autour de nous.

En mon for intérieur, j’éprouvais la même paix. Comme si mes peurs et mes doutes se taisaient les uns après les autres. Les sens en alerte, je me sentais plus vivante que jamais. Les bougies, le souffle de ceux qui m’entouraient, le parfum des fleurs et des fruits, tout se mélangeait pour créer un lien profond et merveilleux avec la nature, la Déesse qui est partout, tout autour de nous.

Dans le bol de terre, au nord, Cal a allumé un bâtonnet d’encens. Des fragrances rassurantes de cannelle et de muscade ont bientôt flotté dans l’air. Nous nous sommes pris la main. Contrairement à mes deux cercles précédents, celui-ci ne suscitait en moi ni curiosité ni appréhension particulières. J’attendais simplement de voir comment les choses allaient tourner.

Les mains de Matt et de Robbie étaient plus grandes que les miennes. Celle de Matt était lisse et mince, celle de Robbie, massive. J’ai jeté un coup d’œil au visage de mon ami. À sa peau parfaite. Grâce à moi. Au plus profond de moi, j’y ai vu une preuve de mon propre pouvoir et j’en ai été fière.

Cal a entonné le chant tandis que nous tournions dans le sens des aiguilles d’une montre :

 

Ce soir, nous saluons le Dieu,

Sous la terre il reposera.

Au soleil du printemps il renaîtra,

Mais pour l’heure sa vie s’achève en ce lieu.

 

Sous la Lune Sanglante nous dansons,

Ce chant par neuf fois nous réciterons.

Nous dansons pour que l’amour jaillisse de nos veines,

Pour assister la Déesse dans sa peine.

 

Pendant la ronde, j’ai compté et nous avons bien récité neuf fois ce chant. Plus j’étudiais la Wicca, plus je comprenais que les sorcières intégraient partout leurs symboles : les plantes, les nombres, les jours de la semaine, les couleurs, les saisons, même les tissus, la nourriture et les fleurs. Tout possédait une signification propre. En tant que novice, je devrais apprendre à reconnaître ces symboles, à récolter le plus d’informations possible sur la nature et à me joindre à sa danse, à sa magye.

Sans cesser de psalmodier, j’essayais de m’imaginer la fin de la ronde, lorsque nous lèverions les bras pour libérer notre énergie. Une fois encore, le souvenir de la douleur et des nausées passées m’a inquiétée. Ma détermination de façade a commencé à se craqueler sous les assauts de la peur. Mon pouvoir me semblait effrayant.

Soudain, tandis que nous tournions toujours en récitant la prière comme s’il s’agissait d’une chanson en canon où nous mêlions nos voix les unes aux autres, j’ai compris que c’était justement ma peur qui me blesserait si je ne m’en libérais pas sur-le-champ. Entourée par les autres membres du coven, j’ai inspiré profondément et essayé de la bannir, de bannir les limites.

Les visages étaient brouillés. J’avais l’impression de ne plus rien contrôler. « Je bannis la peur ! » Les mots de notre prière ont perdu tout sens pour n’être plus qu’un rythme de son pur, qui s’élevait et retombait et tourbillonnait autour de moi. J’avais du mal à respirer, des gouttes de sueur perlaient sur mes joues brûlantes. Je voulais jeter mon manteau, jeter mes chaussures. Je devais m’arrêter. Je devais bannir la peur.

Dans un ultime éclat de voix, notre ronde a pris fin et nous avons levé les bras en l’air. J’ai senti un courant d’énergie tourbillonner autour de moi. Mon poing s’est refermé dans le ciel avant de se poser sur ma poitrine, comme pour m’approprier des bribes d’énergie. Je bannis la peur, ai-je pensé comme dans un rêve, puis la nuit a explosé.

 

* * *

 

Je dansais dans le ciel, au milieu des étoiles. Des particules d’énergie filaient autour de moi comme autant de comètes microscopiques. Je voyais l’Univers tout entier ; d’un seul coup d’œil, le moindre atome, le moindre sourire, la moindre mouche, le moindre grain de sable m’était révélé dans sa beauté infinie.

En inspirant, j’ai absorbé l’essence même de la vie et, en expirant, j’ai relâché de la lumière blanche. C’était magnifique, plus que ça encore, mais les mots me manquaient pour le décrire. Je comprenais absolument tout ; je comprenais ma place dans l’Univers ; je comprenais le chemin que je devais suivre.

Puis j’ai souri. J’ai soufflé encore une fois en battant des cils et je me suis retrouvée dans un cimetière obscur avec neuf camarades du lycée. Des larmes striaient mon visage.

— Tout va bien ? s’est inquiété Robbie en venant vers moi.

J’ai d’abord eu l’impression qu’il parlait une langue étrangère. Puis, comprenant enfin ce qu’il disait, j’ai hoché la tête.

— C’était merveilleux, ai-je bredouillé, faute d’adjectif plus approprié.

Après ma vision, je me sentais horriblement diminuée. J’ai tendu la main pour toucher la joue de Robbie. Mon doigt a laissé une ligne chaude et rose sur son passage. Robbie s’est frotté la joue, perplexe.

Ensuite, je me suis dirigée vers les bouquets de fleurs dans les vases posés sur l’autel, émerveillée par leur beauté, bouleversée par leur mort prématurée. J’ai caressé un bouton, qui s’est ouvert à mon contact, devenant fleur dans la mort alors qu’on le lui avait interdit dans la vie. Devant la scène, Raven a hoqueté, pendant que Bree, Beth et Matt reculaient d’un pas.

Puis Cal est apparu près de moi.

— Ne touche plus à rien, m’a-t-il ordonné doucement, dans un sourire. Allonge-toi et libère l’énergie.

Il m’a entraînée dans un coin dégagé du cercle, où je me suis étendue sur le dos. J’ai senti la force vitale de la terre m’envelopper, absorber l’énergie que j’avais canalisée, jusqu’à ce que je retrouve mon état normal. Peu à peu, j’ai repris le contrôle de mes sens. Je voyais de nouveau nettement le coven, les bougies, les étoiles et les fruits en tant que tels, et non en temps que boules d’énergie vibrante.

— Que m’arrive-t-il ? ai-je murmuré.

Assis en tailleur derrière moi, Cal a soulevé ma tête pour la poser sur ses genoux. Il caressait mes cheveux, déployés sur ses jambes. Robbie s’est agenouillé près de lui. Ethan, Beth et Sharon se sont approchés pour m’examiner par-dessus son épaule, comme si j’étais une bête de foire. Jenna tenait Matt par la taille, à croire qu’elle avait peur. Raven et Bree restaient à l’écart. Cette dernière avait les yeux ronds et l’air grave.

— Tu as fait de la magye, m’a répondu Cal en me dévisageant de son regard doré infini. Tu es une sorcière de sang.

Stupéfaite, j’ai vu son visage se rapprocher du mien et masquer peu à peu la lune au-dessus de moi. Ses yeux plongés dans les miens, il a effleuré ma bouche de ses lèvres et, dans un choc, j’ai compris qu’il m’avait embrassée. Mes bras m’ont semblé peser une tonne lorsque je les ai levés pour le prendre par le cou, et lui rendre son baiser. Nous étions unis, et la magye crépitait tout autour de nous.

J’ai savouré cet instant de bonheur absolu sans me poser de questions. Évidemment, mes interrogations n’ont pas tardé à me rattraper. Si j’étais une sorcière de sang, qu’en était-il de ma famille ? Et comment Bree et Raven allaient-elles réagir maintenant que Cal et moi sortions ensemble ? Ce serait ma première leçon de magye, et je l’apprendrais à mes dépens : toujours envisager les conséquences de ses actes.

L'éveil
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